Ça me fait toujours rire quand j’entends des gens dire qu’ils n’achètent pas de vêtements de créateurs locaux parce que « ça coûte trop cher ». La robe la plus chère en ce moment chez Topshop à Montréal est 270$. La plus chère sur le site de Marigold ? 229$. Je pourrais faire cette comparaison avec une tonne de compagnies québécoises et de multinationales à la Zara et H&M.

Contrairement à d’autres villes comme New York et Paris, nos marques locales restent incroyablement abordables. C’est sûr que si on est du genre à s’acheter cinq chandails chez Forever 21 par semaine, on ne pourra pas soutenir le même rythme avec nos créateurs d’ici. Et c’est tant mieux. On ne le répètera jamais assez: autant pour notre portefeuille que pour l’environnement, il faut miser sur la qualité et non la quantité. 

C’est aussi une question de perception et de moeurs sociales. L’art de la bouffe est une grande passion dans notre culture québécoise, ce qui nous pousse à dépenser régulièrement 150$ pour un souper de quelques heures dans un restaurant sans se questionner deux fois. Par contre, quand vient le temps d’acheter un pantalon à 180$ qu’on pourra porter pendant plusieurs années, on sourcille ?

C’est un peu dans cet état d’esprit que je me suis dit que ça serait bien de décortiquer le coût d’un vêtement d’un créateur local, du sketch initial à la vente en boutique. Avec mon background en design de mode et à force de côtoyer de petits créateurs, j’ai une idée assez précise des dépenses qui se cachent derrière une chemise à 160$ confectionnée à Montréal. Mais le commun des mortels, pas nécessairement. J’ai donc demandé à Marilyne de m’expliquer, étape par étape: pourquoi est-ce que les vêtements conçus localement sont plus dispendieux que les marques fast fashion ?

 

Les tissus

 « Je commence tout le temps avec la matière, c’est mon point de départ », dit Marilyne. Pour trouver les plus belles étoffes, elle se rend chez Première Vision à Paris ou à New York (une énorme foire réservée aux professionnels de la mode) ou chez Télio à Montréal. « Je ne me restreins pas, j’essaie de trouver un tissu inspirant tout en offrant la meilleure qualité possible ». Ching ching, la facture commence déjà à grimper.

Le deuxième facteur qui influence le prix du tissu ? La quantité commandée. Zara, par exemple, commande un métrage gargantuesque de matière première, ce qui lui donne accès à des prix extrêmement dérisoires. Avec leurs microproductions, les créateurs d’ici ne peuvent tout simplement pas jouir de ces tarifs préférentiels. À titre comparatif, une multinationale paiera 2 ou 3 $ le mètre, alors qu’un petit créateur déboursera jusqu’à 20$ pour la même quantité (pas nécessairement du même tissu par contre).

 

La création 

La propriété intellectuelle est souvent la partie la plus sous-évaluée. Contrairement à des marques internationales qui copient presque noir sur blanc des looks de défilés, les petits créateurs investissent beaucoup d’eux-mêmes dans le processus créatif. « Après avoir vu les tissus, je prends environ deux mois pour sketcher, prendre en compte les commentaires de mes clientes, évaluer ce qui s’est bien vendu la saison dernière et, finalement, faire mon plan de collection », partage Marilyne. Elle avoue maintenant s’allouer un (mince) 3 à 5$ par pièce vendue pour le temps passé à la création.

 

La confection et la production

Trois mois après avoir magasiné ses tissus, Marilyne reçoit les premières quantités pour confectionner ses prototypes et c’est à partir de ce moment que les dépenses augmentent de façon exponentielle. « C’est surtout la main d’oeuvre qui coûte cher dans la production d’une collection », souligne Marilyne.

Prenons l’exemple d’une chemise Marigold. Après avoir réalisé le patron de son prototype, Marilyne l’envoie à Marcel, qui s’occupe de le digitaliser et développer la gradation (le développement de l’échelle de grandeurs). Ces patrons sont ensuite envoyés à Luigi et Louise, en charge de couper toutes les pièces de tissus. Dernière destination: la couturière! Certes, un détaillant comme Zara passe par toutes ces étapes, même si certaines sont complètement automatisées, mais la grosse différence demeure les conditions dans lesquelles les Marcel, Luigi et Louise de ce monde travaillent.

Tous les travailleurs participants à la production de vêtements locaux jouissent d’un salaire décent et d’un environnement de travail sécuritaire. À l’autre bout du monde, comme au Bangladesh, où le sous-traitant d’un sous-traitant s’occupe de la production d’une marque bon marché, les lois pour les travailleurs sont floues et presque inexistantes, donnant lieu à des salaires de misère, des conditions parfois dignes de l’esclavage et des désastres comme le Rana Plaza. Non, je ne suis pas alarmiste ni sensationnaliste. C’est bel et bien la réalité.

Voici quelques chiffres pour te donner une meilleure idée. Marilyne produit une chemise au coût de 40 $. Elle la vendra ensuite à une boutique pour 85 $, qui elle la vendra à la cliente pour 160 $, une augmentation normale pour payer tout le monde et réaliser une légère marge de profit. Chez Zara, une chemise qui aura coûté 8 $ à produire, sera vendue 80 $ en magasin. La première chemise est multipliée par quatre. La deuxième, par dix. C’est une belle différence de marge de profit, n’est-ce pas ? Quand on dit qu’on vote avec nos sous…

 

La mise en marché

Beaucoup de créateurs font affaire avec une représentante qui a pour mission de vendre la collection aux boutiques, un service qui, dans le cas Marilyne, représente 15% de chaque pièce vendue. La vente sur son site web est une bonne manière de réduire les frais intermédiaires, mais reste que la plateforme occasionne un tout autre lot de dépense: la maintenance, le marketing, les frais de livraison, etc. Est-ce que j’ai mentionné aussi que la grande majorité des créateurs doivent aussi produire un lookbook deux fois par année ? Photographe, modèle, maquilleuse, location de studio, impression: la facture, encore une fois, monte vite.

Avec toutes ces dépenses et une très maigre marge de profit, vous êtes peut-être tentées de demander: alors, pourquoi les compagnies d’ici n’augmentent par leurs prix? C’est simple. Elles attendent simplement que les gens arrêtent de dire que les créateurs locaux « coûtent trop cher ».

 

Par Joëlle Paquette pour MARIGOLD

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